Jeûne du 10 Ṭéḅéṫ (5784) — Pourquoi fixer un jeûne à cette date ?

« Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter »

Et je te bâtirai sur le saphir
31 min readDec 31, 2023

Adapté d’un deḅar Tora prononcé le Shabaṫ 11 Ṭéḅéṫ 5784 (samedi 23 décembre 2023) à la mémoire de Mordekhaï ben Esther ע”ה, en présence du Rav Adam OUAKNIN et de la communauté de Etz Haïm pendant la seʿouda shelishiṫ.

RESUME:

Le jeûne du 10 Ṭéḅéṫ est l’un des quatre jeûnes que nous avons institué en souvenir de la destruction de Jérusalem. Il commémore la date du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor II en — 597, qui culminera avec la destruction du Premier Temple de Jérusalem, et la chute du royaume de Juda. Ainsi que le Rambam (Mishé Tora, Hilkhoṫ Taʿaniyyoṫ, 5 : 1) enseigne : « Certains jours ont été fixés afin que tout le peuple d’Israël jeûne à cause des malheurs qui ont eu lieu à cette date, afin d’éveiller les cœurs, d’ouvrir les chemins du repentir. Ce sera en souvenir de nos mauvais actes ; ceux de nos pères comme des nôtres, qui ont causé ces malheurs. Ces journées de jeûne ont pour objectif de corriger nos agissements ainsi qu’il est dit: “Et ils confesseront leur iniquité et celle de leurs pères” (Lévitique 26 :40). » Quelle est donc la leçon que nous devons retenir de cette date à notre époque ?

Le contexte de cet évènement, raconté dans II Rois, Jérémie, Ezéchiel, et II Chroniques, nous permet d’apprendre davantage sur ce qui a conduit à la chute du royaume de Juda : malgré une politique de retour à la pratique de la Tora initiée par le roi Josias, la destruction du Temple se profile à vue de nez (II Rois, 23 : 25–27), la raison étant les nombreuses iniquités commises par son grand-père, le roi Manassé, retenu dans les annales comme étant le plus impie des rois d’Israël, entraînant les Judaïtes dans l’idolâtrie. Toutefois, pourquoi condamner toute une génération à la destruction du Temple de Jérusalem et à l’exil pour des crimes commis avant l’arrivée au trône de Josias ? Se pourrait-il que D.ieu refuse le repentir ? Une lecture attentive de Jérémie nous montre que le peuple n’a effectué un retour à la Tora que de manière superficielle, et continuait de pratiquer l’idolâtrie en cachette et de commettre des exactions entre eux. De plus, les rois qui succèderont à Josias seront décrits comme faisant « le mal aux yeux de l’Eternel » : les actions de Manassé auront donc marqué l’inconscient collectif du peuple, semble-t-il, à tout jamais. En outre, le peuple restait sourd aux avertissements répétés des prophètes et leurs injonctions à revenir à la Tora, pensant en leur cœur que jamais D.ieu ne détruirait Son Temple et Sa Cité.

Ajoutons à cela les très nombreuses erreurs politiques commises par leurs dirigeants, en particulier ceux de Sédécias, le roi de Juda au moment du siège de Jérusalem en — 597. Alors que, sous son règne, le royaume de Juda était vassal de l’Empire babylonien, une pulsion indépendantiste se lève sur les royaumes vassaux de Nabuchodonosor. Le règne de Sédécias sera marqué par les tiraillements incessants du souverain entre, d’une part, ses officiels et la vox populi, animée par des faux prophètes, qui souhaitent que le royaume se soulève contre Nabuchodonosor, et les avertissements de Jérémie qui, au nom de D.ieu, défendra publiquement le fait que l’indépendance du royaume sera regagnée précisément en restant vassal de la Babylonie. C’est au cours de la neuvième année de son règne que Sédécias décide finalement de se soulever contre Nabuchodonosor, qui lancera un siège contre Jérusalem, massacrera et exilera la population, et détruire le Temple de Salomon. Il est donc important, en ces temps difficiles, de se souvenir que le message de repentir ne s’adresse pas qu’au peuple dans son ensemble, mais également à ses dirigeants, qui doivent s’écarter du chemin de la corruption.

DEVELOPPEMENT

Le prophète Zacharie dit :

« “Ainsi parle l’Eternel-Cebaot : Le jeûne du quatrième mois et le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième mois seront changés pour la maison de Juda en joie et en allégresse et en fêtes solennelles. Mais chérissez la vérité et la paix!” » (Zacharie, 8 : 19)

Le prophète évoque ici les jeûnes commémorant les tragédies nationales d’Israël que le peuple avait l’habitude de s’imposer : le jeûne du quatrième mois commémore les brèches dans les murs de Jérusalem, le jeûne du septième mois commémore la destruction du Temple de Jérusalem, et le jeûne du septième mois commémore, d’après la tradition, l’assassinat du gouverneur Ghedalia.

Quant au jeûne du dixième mois, « qui est le mois de Tébêt »¹, il y eut une controverse entre Rabbi ʿAqiḅa et Rabbi Shimʿon ben Yoḥaï quant à la date exacte de ce jeûne, et quel était l’objet de la commémoration (reflétant peut-être l’existence de diverses pratiques au sein du peuple d’Israël à cette époque)². Selon Rabbi ʿAqiḅa, le jeûne du dixième mois a lieu le 10 Ṭéḅéṫ, car cela correspond à la date du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor II en 587 avant notre ère :

« Dans la neuvième année, le dixième jour du dixième mois, la parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes : “Fils de l’homme, note-toi le nom de ce jour, du jour même où nous sommes: le roi de Babylone prend le contact de Jérusalem aujourd’hui même. » (Ezéchiel, 24 : 1–2)

En revanche, pour Rabbi Shimʿon ben Yoḥaï, le jeûne du dixième mois a lieu le 5 Ṭéḅéṫ, date à laquelle la diaspora juive en Babylonie apprit la prise de Jérusalem :

« Il arriva, dans la douzième année, le cinquième jour du dixième mois, à dater de notre exil, qu’un fuyard vint vers moi de Jérusalem, en disant: “La ville est prise!”» (Ezéchiel, 33 : 21)

In fine, le Béṫ Din HaGaḏol tranche selon l’opinion de Rabbi ʿAqiḅa³. Cependant, il nous vient une question dans notre esprit : pourquoi commémorer le siège de Jérusalem, au temps où le Premier Temple se tenait debout ?

L’annonce du siège de Jérusalem et de la destruction prochaine du Temple aux exilés

Alors qu’Ezéchiel se trouvait en Babylonie, il reçoit, le 10 Ṭéḅéṫ, par prophétie, l’information selon laquelle Jérusalem est assiégée par Nabuchodonosor :

« Dans la neuvième année, le dixième jour du dixième mois, la parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes: “Fils de l’homme, note-toi le nom de ce jour, du jour même où nous sommes: le roi de Babylone prend le contact de Jérusalem aujourd’hui même. Imagine aussi une parabole à l’endroit de la maison de rébellion; tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Dieu: Pose la marmite, pose-la, et puis verses-y de l’eau. Rassembles-y les morceaux, rien que de bons morceaux, cuisse et épaule, remplis-la d’os excellents. Prends ce qu’il y a de mieux dans les agneaux, fais aussi cuire les os par dessous ; qu’elle bouille à gros bouillons, pour que les os également puissent y cuire. C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Dieu: Malheur, ô ville de sang, marmite à laquelle la crasse reste fixée, qui n’a pas été débarrassée de sa crasse! Qu’on la vide morceau par morceau, sans que le sort ait à intervenir à son sujet. Car le sang qu’elle a versé est demeuré au milieu d’elle; elle l’a jeté sur une roche aride, elle ne l’a pas répandu sur le sol, de façon à le recouvrir de terre. C’est pour faire éclater la colère, pour en tirer vengeance que j’ai exposé son sang sur une roche aride, où il ne pouvait être recouvert. C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Dieu: Malheur, ô ville de sang! Moi aussi j’élèverai un grand bûcher¹⁰. Qu’on accumule le bois, qu’on allume le feu, qu’on consume la viande, qu’on brouille la mixture et que les os soient carbonisés! Puis, qu’on la pose à vide sur ses charbons, afin qu’elle s’échauffe, que s’embrase son cuivre, que son impureté fonde au dedans et que sa crasse disparaisse. Elle a coûté de vains efforts, l’abondance de sa crasse n’en sort pas: au feu sa crasse! II y a de l’infamie dans ton impureté: puisque j’ai cherché à t’épurer et que tu n’es pas devenue pure, tu ne te débarrasseras plus de ton impureté, jusqu’à ce que j’aie assouvi ma colère sur toi. Moi, le Seigneur, j’ai parlé; cela arrivera, je l’accomplirai; je ne me raviserai point, je n’aurai ni pitié ni regret. Selon tes voies et selon tes actes, on te jugera, dit le Seigneur Dieu.” » (Ezéchiel, 24 : 1–14)

Ezéchiel avait déjà abordé précédemment les crimes des habitants de Jérusalem et de ce qui allait advenir en conséquence¹¹. Cette fois-ci, Ezéchiel a recours à une analogie pour expliquer la situation au peuple : on met sur le feu une marmite rouillée où l’on fait cuire des morceaux de viande, et, par conséquent, tout le contenu de la marmite est consumé. Puis, on allume à nouveau le feu pour faire fondre la crasse contenue dans la marmite, ainsi que le cuivre composant la marmite. L’analogie est expliquée ainsi : à cause des nombreuses iniquités (la crasse) de ses habitants (les morceaux de viande), Jérusalem (la marmite) se retrouvera détruite à cause des calamités causées par le siège (le feu) et sera vidée ensuite de ses habitants¹². Après avoir exposé cette parabole au peuple, D.ieu annonce au prophète que son épouse mourra soudainement, et qu’il ne devra pas s’endeuiller pour elle. Ceci est un signe pour le peuple : la destruction du Temple sera si soudaine que le peuple ne s’endeuillera pas sur sa destruction ou la perte de leurs enfants habitant Jérusalem à ce moment-là :

« La parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes: “Fils de l’homme, je vais t’enlever les délices de tes yeux par un coup soudain¹³; mais tu ne te lamenteras pas, tu ne pleureras pas et tes larmes ne couleront pas¹⁴. Soupire en silence¹⁵, ne prends pas le deuil comme pour des morts; attache sur toi ta coiffure¹⁶, mets tes chaussures à tes pieds¹⁷. Tu ne t’envelopperas pas jusqu’aux lèvres¹⁸ et tu ne mangeras pas le pain des hommes¹⁹. Je parlai au peuple le matin, et le soir ma femme mourut; le [lendemain] matin je fis comme il m’avait été ordonné. Le peuple me dit: “Ne nous expliqueras-tu pas ce que signifie pour nous ta manière d’agir? “ Je leur répondis: “La parole de l’Eternel m’a été adressée en ces termes: Dis à la maison d’Israël: Ainsi parle le Seigneur Dieu: Je vais profaner mon sanctuaire, votre orgueil et votre force, les délices de vos yeux, l’objet de votre amour; et vos fils et vos filles que vous avez laissés tomberont sous l’épée. Et vous ferez comme j’ai fait; vous ne vous envelopperez point jusqu’aux lèvres, et vous ne mangerez pas le pain des hommes. Votre coiffure [restera] sur votre tête et vos chaussures à vos pieds; vous ne vous lamenterez point et ne pleurerez point; mais vous vous consumerez par vos fautes et vous geindrez l’un en présence de l’autre. Et Ezéchiel vous servira de symbole: tout ce qu’il a fait, vous l’imiterez; quand cela arrivera, vous saurez que je suis le Seigneur Dieu.” Pour toi, fils de l’homme, certes, le jour où je leur prendrai le boulevard de leur force, la joie de leur parure, les délices de leurs yeux et l’attrait de leur âme, leurs fils et leurs filles, ce jour-là, il viendra un fuyard auprès de toi pour l’annoncer aux oreilles [de tous]. Ce jour-là, ta bouche s’ouvrira avec celle du fuyard, tu parleras et ne seras plus réduit au mutisme; tu leur serviras de symbole, et ils sauront que je suis l’Eternel.” » (Ezéchiel, 24 : 15–27)

La véracité de cette nouvelle, et, par voie de fait, de la mission prophétique d’Ezéchiel²⁰, sera acceptée par la diaspora lorsque, le 5 Ṭéḅéṫ de la douzième année de l’exil, un fugitif venu de Jérusalem rapportera aux exilés ce qu’il s’est passé à ce moment-là. Toutefois, nous pouvons nous demander : qu’est-ce qui a conduit au siège de Jérusalem par Nabuchodonosor ?

Le contexte politique du déclin du royaume de Juda

Malgré un retour à la pratique de la Tora initié par le roi Josias, la destruction du Temple semble se profiler à cause des nombreuses iniquités de la génération, et Josias meurt, tué au combat par le Pharaon Nékao II. A la suite de quoi le peuple choisit Joachaz pour lui succéder, mais le nouveau roi « fit le mal aux yeux de l’Eternel, à l’exemple de ses aïeux »²¹. Nékao le fait prisonnier, installe à la tête du royaume de Juda Elyakim, fils de Josias, qu’il renomme Joïakim, et fait payer à Israël un lourd tribut. A l’instar de son prédécesseur, Joïakim « fit le mal aux yeux de l’Eternel, à l’exemple de ses aïeux »²².

Une nouvelle puissance régionale émerge durant le règne de Joïakim : l’Empire Babylonien. Après avoir défait l’Egypte, l’Empire babylonien conquiert les royaumes alliés de l’Egypte, incluant le royaume de Juda. Joïakim devient vassal de Nabuchodonosor pendant trois ans, avant de se révolter contre lui, en conséquence de quoi les alliés de Nabuchodonosor attaquent le royaume de Juda. A la mort de Joïakim, son fils, Joïachin prend la tête du royaume, encore en proie aux alliés de Nabuchodonosor, mais « il fit ce qui est mal aux yeux de l’Eternel, tout comme avait agi son père. »²³ Alors que Nabuchodonosor en personne attaque Jérusalem, Joïachin prend la décision de se rendre à l’empereur babylonien : le roi et l’aristocratie judaïte sont déportés en Babylonie, et les trésors du Temple sont pillés par Nabuchodonosor. L’empereur babylonien installe à la tête du royaume de Juda l’oncle de Joïachin, Mathania, qu’il renomme Sédécias. Or, « il fit ce qui est mal aux yeux de l’Eternel, tout comme avait agi Joïakim »²⁴, semblant sceller définitivement le destin d’Israël :

« C’est ainsi que la colère de Dieu se manifesta contre Jérusalem et Juda, jusqu’à ce qu’il les eût rejetés de devant sa face. Or, Sédécias entra en révolte contre le roi de Babylone. » (II Rois, 24 : 20)

Le Livre des Rois ne détaille pas le contexte de la révolte de Sédécias contre Nabuchodonosor, mais d’autres ouvrages peuvent nous aider à davantage la contextualiser. Celle-ci se déroule en plusieurs phases : tout d’abord, plusieurs royaumes vassaux de l’Empire babylonien cherchent à regagner leur indépendance, et tentent d’établir une alliance avec Sédécias²⁵. Une pulsion de sédition empare alors le pays, animée par des faux prophètes, promettant non seulement une victoire contre Nabuchodonosor, mais également le retour des ustensiles au Temple de Jérusalem. Jérémie, prophète de D.ieu, s’opposait à leurs discours en maintenant une position somme toute difficilement défendable publiquement en ces moments : l’indépendance du royaume ne sera pas regagnée en se révoltant contre la Babylonie, mais, au contraire, Juda deviendra indépendant précisément en restant sous le joug de Nabuchodonosor !

« A Sédécias aussi, roi de Juda, j’ai adressé des discours exactement pareils, disant: Engagez votre cou dans le joug du roi de Babylone, soumettez-vous à lui et à son peuple, et vous vivrez. Pourquoi voudriez-vous périr, toi et ton peuple, par le glaive, la famine et la peste, comme Dieu l’a prédit au peuple qui refuserait soumission au roi de Babylone? N’écoutez donc pas les paroles des prophètes vous disant: Ne vous soumettez point au roi de Babylone!car c’est des mensonges qu’ils vous prophétisent. Car je ne les ai chargés d’aucune mission, dit l’Eternel; mais eux prophétisent en mon nom mensongèrement, de façon à ce que je vous bannisse et que vous périssiez, vous et les prophètes qui vous adressent ces prophéties. Aux prêtres aussi et à tout ce peuple j’ai parlé en ces termes: Voici ce que dit l’Eternel: N’écoutez point les discours de vos prophètes qui vous annoncent ceci: Bientôt maintenant les vases du Temple de l’Eternel seront rapportés de Babylone;car c’est des mensonges qu’ils vous débitent. Ne les écoutez point! Servez plutôt le roi de Babylone et vous aurez la vie sauve! Pourquoi cette ville deviendrait-elle une ruine? Si ce sont réellement des prophètes et si la parole de Dieu se communique à eux, eh bien! qu’ils sollicitent donc l’Eternel-Cebaot, afin que les vases qui restent encore dans le Temple de l’Eternel, dans le palais du roi de Juda et à Jérusalem, ne soient pas aussi transportés à Babylone. Car voici ce que dit l’Eternel-Cebaot au sujet des colonnes, de la Mer, des supports et des autres vases qui sont restés dans cette ville, que Nabuchodonosor n’a pas enlevés quand il exila leconia, fils de Joïakim, roi de Juda, de Jérusalem à Babylone, avec tous les grands de Juda et de Jérusalem; oui, voici ce que dit l’Eternel-Cebaot, Dieu d’Israël, au sujet des vases qui sont restés dans la maison de l’Eternel, dans le palais du roi de Juda et à Jérusalem: Ils seront transportés à Babylone et y resteront jusqu’au jour où je me souviendrai d’eux, dit l’Eternel, pour les faire rapporter et réintégrer en ces lieux. » (Jérémie, 27 : 12–22)

Il est important de garder en tête que, si la distinction entre le véritable prophète de D.ieu et le faux, c’est parce que le prophète est, en tant que porte-parole de D.ieu, une figure politique incontournable que la nation doit écouter. Mais, paradoxalement, explique Pr. Abraham Joshua Heschel, le prophète joue un rôle transcendant la politique : celui qui doit renouer le lien entre Israël et D.ieu. Au contraire, le prophète agissant uniquement selon l’intérêt général est probablement un faux prophète :

« On a souvent soutenu que les prophètes étaient avant tout des patriotes, c’est-à-dire des hommes qui aimaient leur pays et se dévouaient avec zèle à ses intérêts ; le patriotisme, en effet, était leur motivation impérieuse. […] La préoccupation prédominante du prophète était le destin de l’État et du peuple. […] Ce qui nécessite d’être élucidé, ce sont leurs propres motivations et consciences, ainsi que la manière dont ils étaient perçus par leurs contemporains. Leur souci pour le peuple n’a jamais été détaché de leur souci pour Dieu. Le prophète ne se considère pas comme le porte-parole du peuple. Même lorsqu’il appelle à la justice, à la miséricorde ou à la bonté envers les pauvres, il ne le fait pas en tant que tribun du peuple. Il ne déclare jamais que les pauvres et les opprimés lui ont demandé de parler, ni que la situation morale ou politique du peuple a directement motivé son intervention pour redresser la situation. Il parle à tout moment au nom de Dieu. Le simple attachement au peuple ne fait pas d’une personne un prophète. Ce qui motive le prophète, c’est l’attachement de Dieu à Israël et l’incapacité d’Israël à lui rendre la pareille. Sauver le pays était le but de leur mission, mais la mission elle-même était de rétablir la relation entre Israël et Dieu. Le patriotisme naïf ou vulgaire cédant aux instincts naturels des masses, l’attitude du “Mon pays, à tort ou à raison” était précisément ce que les prophètes condamnaient. […] Le patriotisme pur peut être une caractérisation appropriée des soi-disant faux prophètes. Ces voyants rassurants des bonnes choses étaient les serviteurs des monarques et les favoris du peuple. La confiance avec laquelle ils prédisaient la paix, si elle ne peut être attribuée à leur flatterie envers les princes ou à leur corruptibilité (Michée, 3 : 5), devait avoir ses racines profondes dans les instincts et les affections, dans une certitude de protection divine pour ce que l’homme normal se soucie le plus de : la vie, le pays, la sécurité. Samuel, Nathan et Elie avaient déjà déclaré que Dieu n’était pas le protecteur des rois, et les grands prophètes ont proféré des menaces non seulement contre les rois, mais aussi contre le pays et la nation, remettant ainsi en question la conception de Dieu comme protecteur et patron inconditionnel. Il y a un son prophétique dans les paroles de Thomas Jefferson : “En effet, je tremble pour mon pays quand je réfléchis que Dieu est juste.” » (A.J. Heschel, The Prophets, pp. 540–542 [ed. Harper Perennial Modern Classics])

Ainsi, explique Heschel, l’opposition de Jérémie à la vox populi n’est pas due à un flair exceptionnel que le prophète aurait en politique, mais bien provoquée par le souci de renouer la relation entre le peuple d’Israël et D.ieu :

« Pour nous aujourd’hui, la rébellion de Sédécias contre Nabuchodonosor apparaît comme une grossière erreur de calcul des circonstances politiques. L’acte de défi de Juda contre une puissance qui a écrasé l’Assyrie était aussi téméraire que sa dépendance à l’égard de l’Égypte était trompeuse. Le nouvel empire ne menaçait pas l’existence de Juda et semble s’être contenté de la reconnaissance de sa suzeraineté et du paiement d’un tribut. Juda aurait pu survivre sous la suzeraineté babylonienne encore plus facilement que sous la tutelle assyrienne ou égyptienne. Pourtant, ce n’est pas la sagacité politique qui explique l’opposition de Jérémie à la position adoptée par les dirigeants du royaume, ce qui implique un renversement de la position adoptée par Isaïe lorsqu’il avait insisté pour que Juda ne capitule pas devant l’Assyrie. Le prophète ne voit pas le monde du point de vue d’une théorie politique ; c’est une personne qui voit le monde du point de vue de Dieu ; il voit le monde à travers les yeux de Dieu. Pour Jérémie, la relation avec Nabuchodonosor était bien moins importante que la relation avec Dieu. » (A.J. Heschel, The Prophets, pp. 175–176 [ed. Harper Perennial Modern Classics])

Or, malgré les avertissements répétés que Jérémie lance au royaume, Sédécias échouera en tant que dirigeant, car, d’abord tiraillé entre ses appels à l’aide à Jérémie et les officiels du royaume poussant le roi à lancer la révolte contre Nabuchodonosor, ces derniers accusant Jérémie d’être un traître à la solde des Chaldéens (et le mettront en prison pour cela), Sédécias prend finalement la décision de faire sédition face à la Babylonie durant la neuvième année de son règne, en conséquence de quoi Nabuchodonosor assiège Jérusalem le dix du dixième mois (le 10 Ṭéḅéṫ). Ce siège, qui durera un an et sept mois, amorce la chute du royaume de Juda : une famine frappe les habitants de la cité, et l’apparition des brèches dans les murs de la cité le 9 Tammouz suite à ce siège prolongé amorce la destruction du Temple de Jérusalem le mois suivant, et la fin d’un espoir de la renaissance du royaume avec l’assassinat de Ghedalia au mois de Tishri.

Quant à Sédécias, il tente de fuir Jérusalem pour survivre, mais il finit rattrapé par l’armée babylonienne, et est condamné à une lourde sentence :

« D’abord on égorgea les fils de Sédécias à sa vue, puis on lui creva les yeux, on le jeta dans les fers et on le transporta à Babylone. » (II Rois, 25 : 7)

Comme nous venons de l’évoquer, la faiblesse de Sédécias en tant que monarque a grandement contribué à la chute du royaume de Juda et à la destruction du Temple de Jérusalem, mais, comme nous le verrons par la suite, cet échec politique reflète également l’état d’esprit de la nation.

Un repentir refusé ?

Lorsque nous avons commencé notre exposé du contexte historique ayant conduit au déclin du royaume de Juda, nous avons écrit : « Malgré un retour à la pratique de la Tora initié par Josias, la destruction du Temple semble se profiler à cause des nombreuses iniquités de la génération ». Qu’en est-il exactement ? Le texte biblique met en contraste la grande piété du roi Josias et la sentence de l’Eternel semblant sceller le destin du royaume de Juda à cause des crimes commis par son grand-père, le roi Manassé :

« Nul roi encore n’était, autant que lui, revenu à l’Eternel de tout son cœur, de toute son âme et de tout son pouvoir, selon la doctrine entière de Moïse, et nul, depuis, ne s’éleva son égal. Néanmoins, l’Eternel ne revint point de la grande indignation qui s’était allumée en lui contre la Judée, à cause des nombreuses offenses de Manassé à son égard. Car l’Eternel dit: “Juda aussi, je l’écarterai de devant moi, comme j’ai écarté Israël; et je rejetterai cette ville que j’avais élue Jérusalem et cette maison dont j’avais dit: “Mon nom y résidera…” » (II Rois, 23 : 25–27)

De même, lorsque les alliés de Nabuchodonosor attaquent le royaume de Juda sous Joïakim, les crimes du roi Manassé sont à nouveau utilisés en tant que motif par D.ieu pour châtier Joïakim :

« Oui, c’était une sentence prononcée par l’Eternel contre Juda, de l’écarter de devant sa face, à cause de tous les péchés commis par Manassé, et aussi à cause du sang innocent qu’il avait répandu et dont il avait inondé Jérusalem: l’Eternel ne voulut plus pardonner. » (II Rois, 24 : 3–4)

Enfin, Jérémie annonce :

« L’Eternel me dit: “Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon âme ne se tournerait pas vers ce peuple; renvoie-le hors de ma présence, qu’il s’en aille! Que s’ils te demandent: “Où irons-nous?” Tu leur répondras: “Ainsi parle l’Eternel: A la mort ceux qui sont destinés à la mort; au glaive ceux qui appartiennent au glaive; à la famine ceux qu’attend la famine; à la captivité ceux qui sont réservés à la captivité! Je ferai appel contre eux à quatre genres de fléaux, dit l’Eternel, au glaive pour mettre à mort, aux chiens pour déchirer en lambeaux, aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre, pour dévorer et détruire. Et je ferai d’eux un objet d’épouvante pour tous les peuples de la terre, à cause de Manassé; fils d’Ezéchias, roi de Juda, et sa façon d’agir à Jérusalem. » (Jérémie, 15 : 1–4)

Manassé était le successeur de son père, le roi Ezéchias, et était le grand-père de Josias. Au contraire de son père qui entreprit la lourde tâche de restaurer la pratique de la Tora au sein du royaume de Juda, Manassé est retenu dans les annales comme étant le roi qui « fit le mal aux yeux de l’Eternel, imitant les abominations des peuples que l’Eternel avait dépossédés au profit des enfants d’Israël »²⁶, réinstaurant dans le royaume de Juda le culte des idoles, et faisant également répandre le sang innocent dans le pays, ce qui semble sceller à tout jamais le destin du royaume et de ses habitants :

« “Puisque Manassé, roi de Juda, s’est rendu coupable de ces abominations en faisant le mal plus que les Amorréens qui l’avaient précédé, et qu’il a entraîné même Juda au péché par ses idoles, moi, l’Eternel, Dieu d’Israël, je susciterai contre Jérusalem et contre Juda des calamités telles que les deux oreilles tinteront à qui les apprendra. Je passerai sur Jérusalem le cordeau de Samarie et le niveau de la maison d’Achab, et je nettoierai Jérusalem comme on nettoie un vase qu’on retourne après l’avoir nettoyé. J’abandonnerai les débris de mon héritage, je les livrerai au pouvoir de leurs ennemis, qui tous les pilleront et les dépouilleront, en raison du mal qu’ils ont fait à mes yeux, de façon à m’irriter, depuis le jour où leurs ancêtres sont sortis de l’Egypte jusqu’au jour présent.” (II Rois, 21 : 11–15)

Malgré le fait que le Deuxième Livre des Rois dresse un portrait peu glorieux du roi Manassé, l’auteur du Deuxième Livre des Chroniques le présente toutefois comme étant un roi qui, vers la fin de ses jours, se repent de ce qu’il avait commis auparavant, détruisant les idoles et enjoignant le peuple à revenir au culte de l’Eternel. Cependant, cela n’a pas été suivi d’effet : son fils Amon continua d’adorer les idoles, et le peuple continuait d’apporter des sacrifices en dehors du Temple, dans les « hauts-lieux » qu’il avait bâti. De plus, en dépit de son entreprise de réforme religieuse pour le pays, Josias échoue dans sa mission, car, malgré tout, comme il apparaît dans le Livre de Jérémie, les actions de Manassé empreignent encore l’inconscient collectif, le peuple s’étant repenti seulement de manière superficielle, et était dévoué en cachette au culte des idoles, en plus de commettre l’iniquité sur la terre d’Israël. De plus, comme l’atteste Jérémie dans le passage que nous citons ci-dessous, le peuple, malgré les avertissements répétés des prophètes, refusait de croire que D.ieu allait détruire Son Temple, l’empêchant davantage d’effectuer un repentir sincère :

« Parole qui fut adressée à Jérémie de la part de l’Eternel comme suit: “Place-toi à la porte de la maison de l’Eternel, et prononce là le discours que voici en disant: Ecoutez la parole de l’Eternel, vous tous, gens de Juda, qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant l’Eternel! Ainsi parle l’Eternel-Cebaot, Dieu d’Israël: Amendez vos voies et vos oeuvres, et je vous laisserai résider en ce lieu. Ne vous fiez pas à cette formule trompeuse: “C’est ici le sanctuaire de l’Eternel, le sanctuaire de l’Eternel, le sanctuaire de l’Eternel!” Car si vous corrigez sérieusement vos voies et vos œuvres, si vous pratiquez une justice sévère dans vos relations réciproques; si vous vous abstenez d’opprimer l’étranger, l’orphelin et la veuve, de répandre du sang innocent en ce lieu, et de suivre des dieux étrangers, pour votre malheur, [alors seulement] je vous laisserai résider ici, dans le pays que j’ai donné à vos ancêtres, de siècle en siècle. Mais voici! Vous vous fiez à des formules trompeuses, dont la valeur est nulle. Eh quoi! Vous allez voler, tuer, commettre des adultères, faire de faux serments, encenser Baal et suivre des dieux étrangers, que vous ne connaissez point; puis, vous venez vous présenter devant moi, dans ce temple qui porte mon nom, vous écriant: “Nous sommes sauvés!” pour pratiquer encore toutes ces mêmes abominations! Mais elle est donc devenue à vos yeux une caverne de brigands, cette maison qui porte mon nom! Eh bien, moi aussi, j’ai vu les choses de cette façon, dit l’Eternel. Mais rendez-vous donc à la demeure que j’avais à Silo, où tout d’abord j’avais fait résider mon nom, et voyez comment je l’ai traitée à cause de la perversité de mon peuple Israël! Et maintenant, puisque vous commettez tous ces actes, dit l’Eternel, que je me suis adressé à vous sans cesse, et dès la première heure, sans être écouté par vous, que je vous ai appelés sans obtenir de réponse, je traiterai la maison qui porte mon nom et vous inspire cette confiance ainsi que la résidence que je vous ai assurée, à vous et à vos ancêtres, comme j’ai traité Silo; je vous rejetterai de devant ma face, comme j’ai rejeté tous vos frères, toute la race d’Ephraïm. » (Jérémie, 7 : 1–15)

Cette indifférence générale contribuera, en plus des successions des erreurs politiques de Sédécias, à la chute de Jérusalem.

Pourquoi continuer à jeûner ?

Pourquoi continuer de commémorer des calamités s’étant produites à la période du Premier Temple à travers des jeûnes ? Effectivement, les paroles de Zacharie que nous avons rapportées dans l’introduction de notre écrit fait précisément suite à cette question de l’actualité des jeûnes commémorant la destruction de Jérusalem et du Temple :

« II arriva, dans la quatrième année du roi Darius, que la parole de l’Eternel fut adressée à Zacharie le quatrième jour du neuvième mois, de Kislev. La ville de Béthel avait envoyé Charécer, Réghem-Mélec et ses gens pour disposer favorablement l’Eternel, et pour poser aux prêtres qui sont au service de la maison de l’Eternel et aux prophètes la question suivante: “Continuerai-je à pleurer au cinquième mois en pratiquant des abstinences, comme je l’ai fait voilà plusieurs années?” » (Zacharie, 7 : 1–3)

La question se pose en effet car, puisque le Deuxième Temple était en train d’être reconstruit, fallait-il encore jeûner sur la destruction de Jérusalem ? Alors, le prophète Zacharie rapporte la réponse de D.ieu ainsi :

« Alors la parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes: “Porte à tout le peuple du pays et aux prêtres la parole que voici: Quand vous avez jeûné et gardé le deuil au cinquième et au septième mois, et cela durant soixante-dix années, est-ce donc pour moi que vous avez observé ce jeûne? Et quand vous mangez et que vous buvez, n’est-ce pas vous qui mangez, et n’est-ce pas vous qui buvez? Ne sont-ce pas là les paroles que l’Eternel proclama par l’organe des anciens prophètes, alors que Jérusalem était habitée et paisible de même que ses villes autour d’elle, et alors que le Midi en même temps que la Plaine était habité?” » (Zacharie, 7 : 4–7)

Comme le notent Ibn Ezra, Rav Eliezer de Beaugency, et Radaq, la question « est-ce donc pour moi que vous avez observé ce jeûne?» montre que D.ieu n’a jamais ordonné aux Israélites d’accomplir ces jeûnes, mais qu’il s’agit bien d’une initiative de leur part. Or, la question que D.ieu adresse au peuple est la suivante : s’affligent-ils en l’honneur de D.ieu et de sa Tora par ces jeûnes qu’ils ont eux-mêmes initiés, ou simplement pour se donner bonne conscience ? Question rhétorique, D.ieu répondant à sa propre question ainsi :

« Puis la parole de l’Eternel fut adressée à Zacharie en ces termes: “Ainsi parle l’Eternel-Cebaot: Rendez des jugements de vérité, pratiquez l’un envers l’autre la charité et la pitié. N’opprimez pas la veuve et l’orphelin, l’étranger et le pauvre; ne méditez pas dans votre cœur de méchanceté l’un contre l’autre. Mais [autrefois] on avait refusé d’écouter, on avait présenté une nuque rebelle, on s’était bouché les oreilles pour ne pas entendre. On avait rendu son cœur dur comme du diamant, pour rester sourd à l’enseignement et aux paroles dont l’Eternel-Cebaot, par son inspiration, avait chargé les anciens prophètes. Et il y eut un grand courroux de la part de l’Eternel-Cebaot. Et de même qu’il avait appelé sans être écouté, ainsi appelaient-ils à leur tour sans que j’écoutasse, dit l’Eternel-Cebaot. Je les ai dispersés parmi tous les peuples qu’ils ne connaissaient point, et le pays a été désolé derrière eux, abandonné par tout allant et venant. Ainsi ils ont fait d’un pays délicieux une solitude.” » (Zacharie, 7 : 8–14)

La réponse est claire : D.ieu leur rappelle ce dont leurs ancêtres se sont rendus coupables en commettant de nombreuses iniquités entre eux, et en refusant d’écouter Ses Prophète, en conséquence de quoi ils ont été chassés de la terre d’Israël. D.ieu leur fait savoir qu’Il ne désire pas le jeûne, mais l’abandon de nos mauvaises actions et l’application de la justice. De même, lorsque Zacharie annoncera que les jours de jeûne commémorant la destruction de Jérusalem se changeront en jours de fêtes, le prophète précisera néanmoins : « Mais chérissez la vérité et la paix!” » Ibn Ezra explique que, désormais, les Juifs devaient écouter les paroles de D.ieu, et non plus suivre aveuglément ce que leurs aïeux ont pris sur eux comme usage :

« Et voici, la réponse que ces jours, qui étaient des pleurs et des lamentations, se transformeront en jours de joie et de bonheur, et qu’ils observeront les commandements du Seigneur selon les prophètes. Et voici : Aimez la vérité et la paix, comme il est écrit : « Parlez loyalement l’un à l’autre, rendez des sentences de vérité et de paix dans vos portes » (Zacharie, 8 : 16). C’est la réponse que le prophète a donnée à ceux qui étaient en deuil dans le cinquième mois, comme écrit dans Zacharie 7 : 3. Ils n’observaient pas la Tora, […] et ils se demandaient s’ils devaient continuer à observer ce que leurs ancêtres avaient accepté sur eux-mêmes. Le prophète répondit que ce serait mieux s’ils écoutaient les paroles du Seigneur et mettaient de côté les paroles des pères, plutôt que d’observer les paroles des pères sans vraiment prêter attention aux paroles du Seigneur, qui sont parfaitement justes. » (Ibn Ezra sur Zacharie, 8 : 19)

C’est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous ne devons pas jeûner dans une optique d’abstinence pour se donner bonne conscience ou pour paraître pieux, mais bien selon ce que le Rambam enseigne, à savoir que les jours de jeûne que nous avons fixé en souvenir de Jérusalem doivent nous éveiller au repentir, en prenant conscience de nos mauvaises actions et en nous souvenant de ce qu’ont causé nos aïeux :

« Certains jours ont été fixés afin que tout le peuple d’Israël jeûne à cause des malheurs qui ont eu lieu à cette date, afin d’éveiller les cœurs, d’ouvrir les chemins du repentir. Ce sera en souvenir de nos mauvais actes ; ceux de nos pères comme des nôtres, qui ont causé ces malheurs. Ces journées de jeûne ont pour objectif de corriger nos agissements ainsi qu’il est dit: “Et ils confesseront leur iniquité et celle de leurs pères” (Lévitique, 26 :40). » (Mishé Tora, Hilkhoṫ Taʿaniyyoṫ, 5 : 1)

Ainsi, le jeûne du 10 Ṭéḅéṫ doit nous servir de repère pour ne plus reproduire les mêmes erreurs que nos pères, que ce soit la collectivité dans son ensemble, ou, comme l’Histoire l’a montré à maintes reprises, que ce soit avec l’échec des Hasmonéens au pouvoir, ou même, plus récemment, la succession de graves erreurs politiques en Israël qui ont conduit au pogrom du 7 octobre 2023, ses dirigeants, et suivre les injonctions de Zacharie : « Rendez des jugements de vérité, pratiquez l’un envers l’autre la charité et la pitié. N’opprimez pas la veuve et l’orphelin, l’étranger et le pauvre; ne méditez pas dans votre cœur de méchanceté l’un contre l’autre » et « Mais chérissez la vérité et la paix!” ».

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Notes additionnelles et bibliographie

[1] Esther, 2 : 16.

[2] Talmuḏ Yeroushalmi, traité Taʿaniṫ, 4 : 5, 68c ; Talmuḏ Baḅli, traité Rosh HaShana, 18b.

[3] Mishné Tora, Hilkhoṫ Taʿaniyyoṫ, 5 : 2 ; Shoulḥan ʿAroukh, ʾOraḥ Ḥayyim, 549 : 1.

[4] D’ailleurs, le Rav Abraham de Boton (Leḥèm Mishné sur Mishné Tora, Hilkhoṫ Taʿaniyyoṫ, 5 : 2) se pose la question suivante : comment se fait-il que, puisque nous avons changé la date du jeûne du 9 Tammouz au 17 en déférence pour le Deuxième Temple, nous n’avons pas également modifié la date du 10 Ṭéḅéṫ afin de la faire coïncider avec la date du siège de Jérusalem par les Romains ? Le Rav Abraham de Boton répond que, tandis que le fait de passer du 9 au 17 Tammouz n’entraîne pas de conséquences significatives (le changement de date est seulement l’affaire de quelques jours), il y a toutefois un écart de date important entre la date du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor (le 10 Ṭéḅéṫ), et le siège de Jérusalem par les Romains, qui s’est produit peu de temps avant la brèche dans les murs de Jérusalem le 17 Tammouz (selon Flavius Josèphe [Guerre des Juifs, V : 3 : 1], le siège avait débuté quelques jours avant la fête de Pesaḥ). Nous pouvons donner une autre réponse : ainsi que le rapporte Rav Eliezer Melamed (Pniné Halakha, Zmanim, 6 : 1, note 1), le Tashbeṣ (II, 71) pense que les jeûnes ont été institués principalement en souvenir de la destruction du Premier Temple, car c’est à cette époque qu’avait lieu le retrait progressif de la Présence Divine (qui ne reviendra pas complètement durant la période du Deuxième Temple), d’où le fait que les Sages n’ont pas institué de jeûne commémorant les guerres de Rome contre Jérusalem.

[5] Comme le précise le Rav Zadoc Kahn dans les notes de sa traduction, il s’agit de la neuvième année depuis l’exil de Joïachin et l’avènement de Sédécias.

[6] Le Targoum Yonaṫan bén ʿOuzziʾél (sur Ezéchiel, 24 : 3) traduit « et puis verses-y de l’eau » parוְאַף יִתְיְהֵיב לָהּ אַרְכָא לְקַבָּלָא מְצִירָא (ṿeʾaph yiṫyeheḅ lah ʾarkhaʾ leqabalaʾ meṣiraʾ) — « et donne-lui aussi le temps pour recevoir le siège » –, montrant par là que la ville ne serait pas détruite tout de suite, mais que le siège se prolongerait, conduisant à des nombreux morts, soit par l’épée, soit par la peste, soit par la famine (voir Radaq sur Ezéchiel, 24 : 3).

[7] Le Targoum Yonaṫan bén ʿOuzziʾél (sur Ezéchiel, 24 : 4–5) interprète le sens des morceaux ainsi : « Rassemble ses chefs au milieu d’elle [« de bons morceaux »], tout homme vaillant et guerrier [« cuisse et épaule »]; remplis la ville de troupes [« remplis-la d’os excellents »]. Fais approcher les rois des peuples [« Prends ce qu’il y a de mieux dans les agneaux », c’est-à-dire l’aristocratie judaïte], et joins avec eux des auxiliaires pour se préparer à la bataille » [« fais aussi cuire les os par-dessous »] ». Le siège de Jérusalem par Nabuchodonosor sera d’une telle violence que même les hommes les plus vaillants mourront, ainsi que l’explique le Targoum sur le verset : « qu’elle bouille à gros bouillons, pour que les os également puissent y cuire ».

[8] La population vivant à l’intérieur de la cité ne sera pas décimée ou exilée d’un coup, mais cela aura lieu suivant plusieurs phases, et de manière indiscriminée (cf. Jérémie, 15 : 2 ; voir Radaq, Abrabanel, Malbim, et Meṣoudaṫ Daṿiḏ sur Ezéchiel, 24 : 6).

[9] Comme l’explique Rav Dr. S. Fisch (A. Cohen, Ezekiel, note 7 p. 162–163), les habitants de la ville, par leurs crimes commis en public (voir le Targoum Yonaṫan bén ʿOuzziʾél sur Ezéchiel, 24 : 7), traitaient le sang humain avec moins de révérence que celui d’un animal, qui doit être recouvert par la terre (cf. Lévitique, 17 : 13). Pour ce sang répandu sans aucune vergogne criant à la justice divine (cf. Genèse, 4 : 10 ; Job, 16 : 18), D.ieu répandra le sang des habitants de la ville non pas sur la terre, mais sur un rocher, où il sera visible de tous.

[10] Le Targoum Yonaṫan bén ʿOuzziʾél (sur Ezéchiel, 24 : 9) traduit cette expression par אַסְגֵי תְּבִירָהּ (ʾasġé teḅirah) — « je multiplierai sa défaite » –, signifiant que, de même que les habitants de la ville ont accumulé les péchés, D.ieu aussi accumulera du combustible pour exécuter Son Jugement.

[11] Ezéchiel, 23–24.

[12] En fait, l’imagerie de la marmite a déjà été utilisée auparavant, mais d’abord par les habitants de Jérusalem pour représenter leur espoir de sécurité qu’ils placent les murs de fortification de Jérusalem, protégeant la chair, c’est-à-dire les habitants (Ezéchiel, 11 : 3), ce à quoi Ezéchiel, réutilisant leur imagerie, prophétise leur destruction ainsi que celle de la ville (Ibid. : 4–12).

[13] Ainsi que l’enseigne Rabbi Yoḥanan (Talmuḏ Baḅli, traité Sanhédrin, 22a) à partir de ce passage : « Tout celui dont la première épouse décède, c’est comme si le Temple était détruit pendant les jours [de son existence]. » Au passage, nous aimerions apporter une remarque à propos du décès de l’épouse d’Ezéchiel : la Bible hébraïque ne s’adressant pas principalement aux philosophes, elle fait fi des causes intermédiaires à travers lesquelles D.ieu agit dans le monde (qui, d’après le Rambam [Guide des Egarés, II : 48] sont au nombre de trois : la nature, les choix des êtres humains, et le hasard) : elle attribue tout ce qui se produit à la Cause Première. De fait, de notre point de vue, nous n’avons pas à conclure que D.ieu a délibérément tué l’épouse d’Ezéchiel dans ce passage, mais que son heure était venue, comme il est écrit : « Tes yeux me voyaient, quand j’étais une masse informe, et sur ton livre se trouvaient inscrits tous les jours qui m’étaient réservés, avant qu’un seul fût éclos. » (Psaumes, 139 : 16).

[14] Samuel Cahen commente : « tu ne pourras pas pleurer ; c’est le comble du malheur. »

[15] La coutume israélite est, au contraire, de se lamenter à cor et à cri (voir II Samuel, 15 : 30 ; et également Siracide, 38 : 17). Selon l’exégèse juridique de ce verset par nos Sages (Talmuḏ Baḅli, traité Moʿéḏ Qaṭan, 15a), l’endeuillé n’aura pas le droit de saluer son prochain (voir Mishné Tora, Hilkhoṫ ʾAḅél, 5 : 20 ; Shoulḥan ʿAroukh, Yoré Deʿa, 385 : 1–3) et ne devra pas prononcer des paroles de Tora (voir Mishné Tora, Hilkhoṫ ʾAḅél, 5 : 15–16 ; Shoulḥan ʿAroukh, Yoré Deʿa, 384 : 1–5).

[16] D’après le Radaq (ad loc.), la coutume des endeuillés était de se découvrir la tête. Selon l’interprétation juridique de nos Sages (Talmuḏ Baḅli, traité Berakhoṫ, 11a, 16b ; traité Ketouḅoṫ, 6b ; traité Moʿéḏ Qaṭan, 15a ; traité Souka, 25a), cela se rapporte à l’interdiction aux endeuillés de porter les tephillin le premier jour du deuil (voir Mishné Tora, Hilkhoṫ ʾAḅél, 4 : 9 ; Shoulḥan ʿAroukh, ʾOraḥ Ḥayyim, 38 : 5 ; Yoré Deʿa, 388 : 1–2). De plus, en souvenir de la destruction du Deuxième Temple, ils ont institué, sur la base de ce verset, que, lors de la célébration d’un mariage, on place de la cendre sur la tête des mariés, à l’endroit où l’on place la tephilla de la tête (Talmuḏ Baḅli, traité Baḅa Baṫra, 60b ; Mishné Tora, Hilkhoṫ Taʿaniyyoṫ, 5 : 13 ; Shoulḥan ʿAroukh, ʾOraḥ Ḥayyim, 560 : 2). Au passage, le fait que la pratique d’origine ashkénaze de briser le verre sous le dais nuptial s’est répandue dans la plupart des communautés de nos jours ne peut, sous aucun prétexte, supplanter une coutume nationale instituée par le Bét Din HaGaḏol (voir Mishné Tora, Hilkhoṫ Mamrim, 1 : 1–2).

[17] La coutume israélite consiste, au contraire, à ne pas se chausser (II Samuel, 15 : 30 ; Talmuḏ Baḅli, traité Moʿéḏ Qaṭan, 15b ; Mishné Tora, Hilkhoṫ ʾAḅél, 5 : 6 ; Shoulḥan ʿAroukh, Yoré Deʿa, 382 : 1–5).

[18] L’endeuillé doit couvrir partiellement son visage d’un voile (II Samuel, 15 : 30, 19 : 5 ; Michée, 3 : 7 ; voir Talmuḏ Baḅli, traité Moʿéḏ Qaṭan, 15a ; Mishné Tora, Hilkhoṫ ʾAḅél, 5 : 19 ; Shoulḥan ʿAroukh, Yoré Deʿa, 386).

[19] L’endeuillé ne doit pas manger le repas qu’il prépare lui-même, mais uniquement celui qu’on lui sert. D’après le judaïsme rabbinique, cela ne concerne que pour le premier repas de l’endeuillé (Talmuḏ Baḅli, traité Moʿéḏ Qaṭan, 27b ; Mishné Tora, Hilkhoṫ ʾAḅél, 4 : 9 ; Shoulḥan ʿAroukh, Yoré Deʿa, 378 : 1–13).

[20] Le prophète n’était pas cru auparavant (voir Ezéchiel, 3 : 26–27).

[21] II Rois, 23 : 32.

[22] Ibid. : 37.

[23] Ibid., 24 : 9.

[24] Ibid. : 19.

[25] Jérémie, 27 : 3.

[26] II Rois, 21 : 2.

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Et je te bâtirai sur le saphir

Géologue de formation qui, parfois, écrit sur la parasha de la semaine, les fêtes juives, et éventuellement tout ce qui lui passe par la tête.